En 1978-1979, une nouvelle génération inaugurait, à Ménilmontant dans l’est parisien, les premiers ateliers de culture berbère (langue et danse). Ces jeunes, désireux de faire reconnaitre et de partager leur quotidien, social et culturel, furent comme emportés dans le tourbillon de la grande histoire. Ainsi, et pour en rester aux vingt premières années, il y eut dès avril 1980, le Printemps berbère, puis l’arrivée de la gauche au pouvoir en France, la Marche pour l’égalité et contre le racisme, l’aventure des « radios libres », l’explosion musicale kabyle, le renouveau culturel en France avec l’émergence de nouveaux acteurs issus des migrations, le mouvement pour les droits de l’homme en Algérie. Dans les années 90, l’association assuma ses responsabilités : face à la montée de l’intégrisme en France et en s’engageant aux côtés des Algériens menacés dans leur pays. Idem à l’heure du Printemps noir de Kabylie en 2001…
A travers ces télescopages de la grande et de la petite histoire, au cours de ce périple fait d’imprévus et de chemins qui montent, la route de l’ACB croisera les routes d’une multitude d’hommes et de femmes. Il en est qui ont rejoint ses rangs, participé à ses initiatives et combats, élargi le cercle des amitiés et des solidarités. L’histoire de l’ACB est d’abord celle de ces centaines d’hommes et de femmes qui ont, chacun-e à sa manière, façonné la première association culturelle berbère de France.
Au commencement de cette aventure, il y eut des rencontres et la capacité d’un jeune animateur de la MJC des Amandiers, Cherif Benbouriche alias Beben à en être la cheville ouvrière. C’est à Ménilmontant, en 1978 que se croisent les pionniers de la future association, le premier cercle. Il y a là et d’abord le discret Hamid Hamouma. Dès 1980, il sera le professeur de kabyle en titre de l’ACB et ce jusqu’en 1992. Tiré de son expérience, il rédige en 1987 un Manuel de grammaire berbère, préfacé par Mouloud Mammeri. Il y a aussi Mohand Arav Benbraham, dit Chico, lui aussi étudiant en linguistique.
Personne ne se connaissait. Une annonce sur un panneau d’informations allait être le début d’une longue histoire. Le trio se réunit « Au bon accueil », un bistrot aujourd’hui disparu de la rue des Amandiers, tenu à l’époque par Madeleine et Da Qassa, un couple pas loin de la retraite, elle française pur sucre, lui kabyle pur jus (d’huile d’olive bien sûr), brocanteur la semaine et bistrotier le week-end.
« J’ai été intéressé par la proposition de Hamid et par le travail de Chico parce qu’il faisait le lien entre nos projets et le GEB, le Groupe d’Etudes Berbères de Vincennes (Paris 8). Tout cela donnait les conditions nécessaires à la création de ces premiers ateliers de culture berbère (langue, théâtre, danse). Le coup d’envoi a été donné en mars 1979. Cela a été mis en place avec l’aide de deux autres personnes, à savoir Hacène Hirèche, prof de langue à l’époque et Ramdane Achab, qui est aujourd’hui éditeur de livres en tamazight en Algérie. En même temps, je rencontrais des gens comme Arezki Hamami qui était gestionnaire de la coopérative Imedyazen [rue de Lesdiguières à Paris], le prolongement du GEB de Vincennes mais aussi Ferhat du groupe Imazighen Imoula, Hend Sadi ou Saïd Boudaoud » (Beben).
Grâce à Chico, contact fut pris avec M’Barek Redjala, fondateur en 1972 du Groupe d’études berbères, pour une conférence donnée dans le cadre d’une première semaine culturelle berbère organisée à partir du 19 mars 1979 à la MJC des Amandiers. Cette initiative culturelle était soutenue par les chanteurs Idir et Ferhat.
Très tôt, d’autres personnes viendront grossir ce premier cercle. A commencer par Khaled Aït Sidhoum. Psychologue de formation – et spécialiste es qualité du poète et chanteur Aït Menguellet. Hama Méliani, comédien et metteur en scène du quartier, sera le premier responsable du périodique Tiddukla. Sur le premier ours qui figure dans sa deuxième livraison, en janvier 1983, sont répertoriés : Hamid Hamouma, Cherif Benbouriche, Khaled Aït Sidhoum, Ferroudja Ibazatene, Yidir Aït Braham, Nafaa Moualek et Mustapha el Mouna.
L’initiative suscitera l’intérêt, la curiosité aussi, de nombre de militants politico-culturels et autres personnalités culturelles. A commencer par Muhend U Yahya ou Farid Ben Yahia, un jeune peintre tunisien qui créera le logo de l’association : ce chandelier berbère, ce bougeoir stylisé, symbole à la fois de lumière (de connaissance), de solidarité et d’union (nord africaine), de permanence amazighe et d’égalité femme-homme. Il y eut aussi Amar Negadi, dit Ammar Achaoui (membre actif de l’Académie berbère Agraw imazighen), l’anthropologue Ali Sayad, le photographe Mohand Abouda auteur du livre Maisons kabyles, espaces et fresques murales parut en 1985 sans oublier les amis Rachid Aït Tahar, qui inaugurera les premiers cours de guitare avec Moussa qui animera lui un atelier de confection et d’initiation à la derbouka…
Un an après l’ouverture de ces premiers ateliers, éclate le Printemps berbère (Tafsut imazighen). Nous sommes en Avril 80. Et voici que la grande Histoire entrebâille la porte de ce qui n’est pas encore une association parisienne. Avril 80 confirme la pertinence des ateliers culturels récemment ouverts mais aussi marque la nécessité de raccrocher l’initiative parisienne au train de l’Histoire de la revendication culturelle berbère. C’est durant ces mois de mobilisations et de solidarités que des liens se tisseront entre ces jeunes du XXe arrondissement et des militants plus aguerris de la cause berbère, militants culturels mais aussi politiques – car le combat se situait clairement dans la perspective d’une opposition au pouvoir d’Alger. Hend Sadi, Arezki Hamami, Saïd Boudaoud, Ferhat (imazighen Imoula)…. Tous membres de la coopérative Imedyazen rattachée au GEB de Vincennes.
Depuis le Printemps Berbère jusqu’au Printemps noir de 2001 en passant par la Décennie noire, le quotidien de l’association a été étroitement liée à l’actualité algérienne. En 1985, le Comité de défense des droits de l’homme en Algérie, présidé par Nabile Farès élu domicile à l’ACB. Le 22 septembre 1985, l’ACB organisait à la Mutualité un meeting en solidarité avec les militants des droits de l’homme en Algérie. Ce jour-là, les militants de l’Amicale des Algériens en Europe tentèrent de saboter le rassemblement. Les provocations et agressions pendant la rencontre se poursuivirent, plusieurs jours après par des messages sur le répondeur téléphonique de l’association, messages d’insultes et de menaces contre l’ACB et contre… Muhend U Yehya.
Dans les années 90, le lien fut plus humain encore, ne serait-ce que par le nombre d’Algériens arrivés en France, à Paris en particulier. Ensuite il y eut l’élan de solidarité à impulser, la nécessaire information à diffuser, de sorte que de nouvelles priorités se sont imposées à l’ACB. L’association est devenue, plus encore qu’hier, un pont, un relais, un espace ouvert, disponible et hospitalier. Cela ne fit que renforcer les convictions et les engagements déjà anciens de l’association : sa dénonciation de l’islamisation, des tartuffes, ceux d’Algérie, et ceux de France.
Le 37bis rue des Maronites deviendra une sorte de QG, un lieu où il sera possible de croiser, de rencontrer, de discuter aussi bien avec des anonymes tout juste débarqués d’Algérie ou en transit (accueillis souvent dans le cadre des permanences sociales et juridiques) qu’avec des personnalités venues manifester leur solidarité et parfois leurs craintes : Matoub Lounès, Ben Mohamed, Brahim Izri, Idir, Ahmed Azzagagh, Méziane Ourad, Arezki Metref, Nourredine Saadi, Dilem…
La revue Tiddukla s’est mobilisée, a ouvert ses colonnes (cf n°16 et n°18/19). En mai 1994 un hommage était rendu à Tahar Djaout avec Les Amis de Tahar Djaout, actes publiés dans un hors-série. Le 3 décembre 1994 l’association participait à la manifestation nationale en solidarité avec l’Algérie. Le jeudi 24 juin 1995, l’ACB fut la cheville ouvrière du concert de solidarité « Algérie la vie » organisé au Zénith par l’association éponyme autour d’Idir et de Khaled. Le 9 novembre 1996, en partenariat avec la FACAF, les ACB du Val d’Oise, de Mantes, de Nancy et le MCB de Rennes, l’association organisait à la Bourse de travail de Paris, un rassemblement pour la constitutionnalisation de tamazight en Algérie.
Le 25 juin 1998, Matoub Lounès était assassiné. Trois jours plus tard l’ACB organisait un rassemblement Place de la République à Paris, le jour de l’inhumation de celui qui fut plus qu’un camarade, davantage encore qu’un artiste disponible, un ami. Un ami qui, quelques jours seulement avant la sortie de son dernier disque, Lettre ouverte aux…, était heureux de faire écouter à l’équipe les premières maquettes de ce qui sera son dernier album.
Si Avril 80 inaugure le devenir algérien de l’association, Ménilmontant marquera sa personnalité, sera « l’âme de son esprit » pour paraphraser Jean Amrouche. C’est Ménilmontant, ce village populaire, perché sur les hauteurs de la capitale, qui a offert à l’association bien des opportunités et nombre d’amis sûrs et fidèles, d’animateurs et de responsables au long cours. C’est Ménilmontant qui a inscrit le projet culturel de l’ACB dans l’ici d’un quartier et dans sa présence à l’autre et au monde.
Le quartier regorge de militants associatifs, de lieux de rencontres et d’échanges, d’associations de terrain à vocation culturelle, artistique, citoyenne, et d’autant de mobilisations où les uns et les autres se croisent, joignent leurs énergies et, souvent, leur bonne humeur. Sans oublier ces Kabyles qui avaient fait de Ménilmuche leur nouveau village : les familles et leurs rejetons, les commerçants, bouchers, primeurs et bien sûr bistrotiers, patrons de garnis et autres restaurants ouvriers. Ce Ménilmontant, bouillonnant et gavroche, sera un vivier d’hommes et de femmes, membres de l’association à part entière ou fidèles amis. Les faux masques identitaires et les faux nez des tartuffes ne résistaient pas ici à la fraternité de classe, au « côtoiement » du quotidien. Naturellement, l’association va s’inscrire dans le cadre associatif du quartier.
Il fut un bouillon de rencontres et d’amitiés. A commencé par Areski Béchar, premier directeur du Relais de Ménilmontant puis Daniel Duchemin son successeur. Comme membres actifs et administrateurs, chacun prendra part à la vie et au développement de l’association. Plus tard Farid Benbraham, le frère de Chico, et par ailleurs déjà administrateur de l’ACB, deviendra à son tour directeur du Relais.
La liste des hommes et les femmes du quartier qui feront l’ACB est longue. Tous ne peuvent être cités, et les oublis sont injustes. Retenons tout de même et en premier lieu Hanifa Chérifi,
Alain Seksig, Nathalie Duchemin, Nasséra Si Mohamed, Nora Méziani, Elisabeth Salhi, Arezki Salhi, Kamel Hamache, Pauline Davranche ou Mogniss H. Abdallah avec qui sera produit le documentaire Le Voyage du Kabyle sur la mémoire de l’immigration algérienne en France réalisé par Belkacem Tatem.
Au mitan des années 80, Ménilmontant enrichira l’équipe de nouveaux membres. Ces femmes et ces hommes, venus d’horizons différents, seront celles et ceux qui pendant des années, souvent dans l’ombre, se retrousseront les manches, donneront de leur temps, soirées et week-ends compris, pour la concrétisation du projet : Ils se nomment, Saadi Kessous, Nasséra Si Mohamed, Boualem Sehrine, Saïd Fennouche surnommé Si Qaci pour son rôle dans la pièce Tacbalit de Muhend U Yehya, Slimane Amara, etc. D’autres viendront, d’ailleurs, comme Malika Aït Khelifa, Belkacem Tatem, Pierre et Malika Ardouvin, Samia Messaoudi…
Ménilmontant sera aussi le cadre où naîtront Radio Afrique (qui deviendra Radio Sud), radio Tamazight et radio Tiwizi. L’ACB sera aussi proche d’une autre radio, d’une autre équipe celle de Radio Beur, aujourd’hui Beur FM. L’expérience des radios générera d’autres amitiés et collaborations. Parfois durables. Ainsi avec Nacer Kettane et plus tard avec d’autres comme Achour Fernane. Pendant plusieurs années l’ACB produira plusieurs émissions sur l’antenne de radio Beur animées entre autres par Mourad Mahamli, installé aujourd’hui au Québec, Karim Ramdani ou Boualem Sehrine.
Le Petit balcon, le petit bar sis de l’autre côté de la rue des Maronites, deviendra vite une « annexe » de l’ACB, le lieu de ralliement de nombreuses personnalités : Idir, Brahim Izri, Matoub Lounès, Chérif Issoulas, etc. C’est ici que Tahar Djaout accepta d’écrire pour la revue de l’association. C’est ici, en 1995, que les habitués purent croiser Michel Platini et Thierry Roland venus à l’ACB pour organiser un match de solidarité avec le Variétés Club de France, après la mort du jeune footballeur du Football Club Berbère, Douadi Atout.
La loi du 9 octobre 1981 permet aux étrangers de se constituer en association. Le 18 novembre 1981, le A de » Ateliers » devient » Association « , marquant l’acte de naissance officiel de l’ACB. En 1983, le 37bis rue des Maronites devient le siège de l’ACB. Le local est celui du CLAD, le Comité de liaison pour l’animation et le développement du XXème. L’ACB reprend à son compte la raison d’être du Clad à savoir la gestion et l’animation du local collectif, la promotion et le développement d’activités en direction des habitants du quartier. Ce qui inscrit plus encore le projet de l’association dans son environnement.
Le FIC, le Fonds d’intervention culturelle, rattaché au ministère de la Culture permettra à l’association de bénéficier d’une une subvention de lancement, une façon de mettre le pied à l’étrier et de mesurer la viabilité d’une équipe et d’un projet. L’ACB découvre alors un fonctionnement administratif fait de dossiers de demande de subvention, de rapports d’activités, etc. En tant qu’association, la pérennisation de l’action de l’ACB doit beaucoup à André Videau, le chargé de mission en charge de ces dossiers. Il restera un ami fidèle de l’association, créant et officiant durant près de dix d’ans, de 1990 à 2000, chaque mois, aux rencontres littéraires de l’association (ACBOG pour l’ACB ouvre les guillemets).
Installée désormais rue des Maronites, l’ACB comprend que les besoins des populations du quartier, d’origine kabyle ou non, ne se limitent pas à son offre culturelle ; que la complexité des repères culturels ou identitaires, notamment pour les plus jeunes, exigent des réponses plus larges, des réponses ancrées dans l’ici et le maintenant, dans le réel et le quotidien des familles et des enfants. Autrement dit, l’ACB doit aussi prendre en compte les conditions sociales de public, effectif ou potentiel, de sorte qu’en 1984, elle ouvre ses premiers ateliers de soutien scolaire puis une permanence juridique et sociale.
L’aide quotidienne aux devoirs, d’interventions dans les écoles du quartier, ateliers d’éveil comprenaient des initiations aux contes, à la danse et à la musique, un atelier de poterie.
Le Club pour enfants accueillera plus de 60 enfants du quartier, âgés de 4 à 15 ans, de toutes origines et conditions sociales, qui se répartiront dans les nombreuses activités proposées : langue, soutien scolaire, musique, peinture, avec l’association Manue Loisirs de Nicole Cabrol qui partagera le local du Pressoir avec l’ACB pendant huit ans de 1989 à 1997, danse, vidéo, sorties et visites… Sans oublier les fêtes de fin d’année et le Noël des enfants lesquels, entre gourmandises et dessins, recevaient un livre en guise de cadeau. L’ensemble de ces activités en direction des plus jeunes n’auraient pas existé sans le travail et l’organisation de relations avec nombre de travailleurs sociaux et de professionnels (santé, social, enseignants…) et les autres institutions du quartier (écoles, ZEP, Zone d’éducation prioritaire, centres socioculturels…). Sans oublier le lien avec les parents d’élèves. Ces activités restent aujourd’hui encore au cœur du quotidien de l’ACB.
En 1987 l’ACB a créé un club de football, le Football club berbère, devenu en 1995 après la mort de Douadi Atout, le FCP pour Football club de Paris. Cette activité regroupa pas moins de 130 inscrits. Parmi les nombreux responsables et animateurs citons ici : Said Mahfoud, Nacer Mansour, Reda Amirouche (ex de la JSK), A. Amrane, Sadi Benbouriche, Nacer Ahras, Djamel Ledad, M.S. Ferhat, etc. En 1991, l’ACB organisa le premier tournoi de football interberbère de Paris. De son côté Alain Ouali fut pendant trois ans le professeur d’un cours de karaté prodigué trois fois par semaine dans le local même de l’association.
Parallèlement à ses ces ateliers socioculturels quotidiens et de proximité, l’ACB, dès 1984, va s’engager dans une politique de grands spectacles qui exigeront de rassembler des centaines de bénévoles, des intervenants réguliers, autant de compétences et de savoir-faire, des dizaines d’artistes, têtes d’affiches et jeunes pousses qui tous, chacun à sa manière, permettra à l’ACB de vivre et de se développer. La Kabylie chantée, organisée en 1984 au Palais des Sports de Saint-Ouen avec Idir et Aït Menguellet, est la « première initiative qui nous a permis de sortir des manifestations dans la maison de jeunes de quartier » (Beben). De 1984 à 2013, l’ACB organisa des dizaines de spectacles, proposa une politique artistique et des productions exigeantes, offrant à un public pas encore coutumier du fait, des salles de spectacle prestigieuses (Olympia, Zénith, Palais des Congrès, Dejazet, Palais des Glaces, le Trianon, La Cigale, l’Elysée Montmartre…)
Cette politique a participé à décloisonner l’expression artistique kabyle en France, en refusant de cantonner les artistes et les productions dans quelques lieux réservés, en systématisant ces productions dans les plus grandes salles de Paris. Ce nouvel âge du spectacle d’expression kabyle correspondait à l’arrivée sur le marché culturel d’un public nouveau – familial, féminisé, rajeuni – en demande de culture. Cette aventure fut pour l’association l’occasion de travailler avec tout ce que le monde kabyle a compté et compte encore d’artistes. Et pour certains d’en faire des compagnons de route et des amis sincères. De ce point de vue, Matoub Lounès et Idir ont, chacun à sa façon, compté dans l’histoire de l’association. Ils ne furent pas les seuls, mais leur constance (Idir) et leur dévouement (Matoub) furent uniques. Parmi les amis de l’association, il faut aussi compter le regretté Brahim Izri, Chérif Issoulas ou le fidèle Saïd Axelfi et sa troupe Idbalen. Sans oublier les partenariats avec Aït Menguellet, Chérif Kheddam, Nouara, Ferhat, Chérifa, Houria Aïchi, Agraw, Karima, Karim Amazigh, Djamel Allam, Malika Domrane, le groupe Azenzar, Sofiane, Ideflawen, Farid Ferragui, Karim Kacel et tant d’autres.
L’ACB s’efforça aussi d’aider à la création artistique. Il fallut pour cela la passion d’hommes et de femmes animés du feu sacré. Muhend U Yehya pour le théâtre, Nasséra Si Mohamed pour la danse, Hanifa Chérifi pour le chant. Les troupes s’appelèrent Asalu, Amendil et Tasga. Sans oublier, Belkacem Tatem, mobilisé à plusieurs reprises depuis 1984 pour ses compétences de comédien, de metteur en scène, de régisseur de plateau ou de réalisateur de documentaires.
Les 29 et 30 juin 1984 dans le cadre du 1er Festival de théâtre d’expression berbérophone et française organisé par l’ACB à la Maison des Amandiers, la troupe Asalu jouait Tacbalit de Muhend U Yehya adaptée de La Jarre de Luigi Pirandello. Asalu remporta le premier prix. Cette première édition réunissait plusieurs troupes (dont Asalu pour Tacbalit et Si Pertuf de Muhend U Yehya, la troupe Issam’Salem pour Tibelkachoutine ou Nedjma la troupe de Moussa Lebkiri).
Les 19, 20 et 21 juin 1985, dans le cadre du deuxième Festival de théâtre berbère, toujours organisé aux Amandiers à Paris, la troupe Asalu crée Si Lehlu adaptée du Médecin malgré lui de Molière par Muhend U Yehya, dans une mise en scène de Belkacem Tatem, et joue Tacbalit. Mohamed Zinet et sa pièce Tibelkachoutine (« L’Homme aux brindilles ») sera également de la programmation.
La pièce Si Lehlu fut filmée au cours des représentations données au théâtre des Amandiers le 2 juin 1988. Elle est aujourd’hui disponible en CD.
Depuis l’ACB a aussi produit Les Zémigrés (inspiré de Sin ni) interprétée par Kamel Mezoued et Méziane Kadache dans une mise en scène de Fellag. La pièce fut également enregistrée et un CD produit par l’association. Elle a présenté Fellag pour son Djurdjurassic Park au Quai de Jemmapes du 18 au 29 juin 1997.
Le théâtre à l’ACB se furent aussi les ateliers de formations animés pendant plusieurs années par Salah Belkalem, lui-même et par ailleurs chanteur.
Théâtre donc, mais aussi danse avec la troupe Amendil et chants avec la chorale de femmes Tasga. La troupe de danse Amendil, créée, animée par Nasséra Si Mohamed propose des chorégraphies berbères sur des danses kabyles, chaouias, touarègues ou marocaines en costumes originaux des régions. Créée en 1988, à l’initiative d’Hanifa Chérifi la chorale Tasga interprète, a cappella ou accompagnée d’un bendir, des chants traditionnels de Kabylie. Tasga enregistra avec Aït Menguellet. Tasga et Amendil se sont produites dans différentes et souvent prestigieuses salles. Si l’aventure Tasga s’est terminée en 1995, Amendil existe toujours. Il faut enfin ajouter la chorale des enfants qui enregistra, en 1985, sous la direction d’Idir, « Le petit village ». Une expérience que renouvellent aujourd’hui Nacima Abbane (professeure de langue) et Didine du groupe Amzik avec la chorale créée avec les enfants du cours de langue kabyle.
La première édition eut lieu les 8, 9 et 10 mai 1986, dans l’historique Maison des Syndicats, au 33 de la rue de la Grange aux Belles. C’est encore Mohia qui suggéra de nommer cette manifestation « rencontres » : « ben ! Appelez-les « rencontres », c’est tout ! » dit-il avec la force de l’évidence et la simplicité caractéristique. L’objectif ambitieux de cette manifestation qui connaîtra quatre éditions était d’organiser, sur plusieurs jours, un grand salon, une sorte de vitrine ouverte sur les mondes et l’actualité berbères : créations, artisanat, traditions, recherches universitaires, débats, spectacles vivants, etc.
C’est à cette occasion que fut dressée une immense tente touarègue où se pressèrent les élèves des écoles voisines. C’est là que l’association rencontre pour la première fois Tahar Djaout. Il participait à des ateliers d’écriture pour la revue Awal fondée en 1985 par Mouloud Mammeri et Tassadit Yacine et soutenue par Pierre Bourdieu. Parmi les universitaires, conférenciers ou non, il y avait Tassadit Yacine, René Gallisot, Nabil Farès, Mehenna Mahfoufi, Mohand Abouda et bien sûr Mouloud Mammeri rencontré via radio Berbère. Djamel Allam, les Rocking Babouche, la chorale des enfants Tiddukla et la troupe de danse Amendil assureront, le dernier jour, la partie artistique.
Les deuxièmes Rencontres berbères furent organisées du 17 au 23 décembre 1987 sur deux lieux, au Relais de Ménilmontant pour les débats, au Dejazet pour le spectacle. Au programme des thèmes aussi divers que Mouloud Feraoun (avec Mokrane Feraoun, Jean Dejeux et M.H.Chèze), « l’école française et les jeunes issus de l’immigration », les « femmes dans l’immigration » ou « la langue berbère : de l’oral à l’écrit » avec Salem Chaker, Yahia Djaffri, Hamid Hamouma, Amar Arab, M.A.Bounfour et Mohamed Aghali ou encore les « stratégies de communication au sein de la communauté d’origine nord-africaine » avec Nacer Kettane notamment. Agraw, la troupe Amendil ou encore Moh Cherbi et Aït Ameur, pour des lectures poétiques, constituèrent le plateau de fin. Mouloud Mammeri avait parrainé la première édition. Kateb Yacine la deuxième. La rencontre avec Kateb Yacine, date de 1986. Kateb Yacine était devenu un ami. Comme Amazigh, son fils. C’est Kateb, qui rédigea le texte, célèbre aujourd’hui, « Les maquisards de la chanson » en guise de présentation du spectacle De la liberté et des hommes (1989). A l’été 1988, Beben, Saadi Kessous et le chanteur Ferhat l’accompagnèrent en Avignon pour la création de sa pièce Le Bourgeois sans culotte ou le spectre du Parc Monceau. Le 13 janvier 1990, l’ACB lui rendra hommage, à la MJC des Hauts de Belleville, rue du Borrégo.
Les Troisièmes Rencontres berbères furent organisées, les 29, 30 novembre et 1er décembre 1991 au Musée des Arts d’Afrique et d’Océanie (MAAO) de la porte Dorée, aujourd’hui le Musée national de l’histoire de l’immigration. C’est grâce à Liliane Kleiber-Schwartz, chargée de l’action culturelle et conservatrice du musée que l’ACB put organiser ces rencontres berbères au MAAO, où quelques 5 000 personnes défilèrent ce week-end, et pas des habitués du Palais de la Porte Dorée. Parmi les personnalités qui acceptèrent d’enrichir ces rencontres, retenons : Salem Chaker, Henriette Camps-Fabrer, Gabriel Camps, Mehenna Mahfoufi, Omar Samaoli. Côté animations, les contes de Moussa Lebkiri et ceux d’Aziz Bouslah.
Le dernier jour, les 900 m2 du Forum central accueillirent pas moins de 2000 spectateurs pour le spectacle avec Idir pour vedette accompagné de Houria Aïchi, Karim Kacel, Amouri M’Barek, les troupes de danse Amendil, et la chorale Tasga. A l’occasion de ces troisièmes rencontres berbères fut annoncée la création de la FACAF, la Fédération des associations de culture amazighe de France devenue, en 2010, la Coordination des associations berbères pour l’intégration et la laïcité (CABIL).
Les 4èmes Rencontres berbères se voulurent décentrées. Elles se tinrent du 20 novembre au 18 décembre 1995 sur au moins trois espaces (Paris, Nancy et le Val d’Oise)
L’ACB s’est toujours efforcée d’informer et de dispenser du savoir. Ainsi, Tiddukla vit le jour dès 1980. En 1984, la publication devenait magazine. En 1997, il changeait de titre à partir du n°22/23 pour devenir Actualités et culture berbères. De 1984 jusqu’en 2000 il est dirigé par Mustapha Harzoune. A partir de cette année et jusqu’en 2013 (n°74/75), Arezki Métref en assura la direction. En 2019, à l’occasion des 40 ans de l’ACB, un numéro spécial sera réalisé.
Parmi les différents membres du comité de rédaction dont certain-e-s étaient les principaux rédacteurs du magazine, retenons ici : Boualem Sehrine, Hanifa Chérifi, Ramdane Redjala, Arezki n’Hend n’Amar, Idir Ahmed-Zaid, Samia Messaoudi, Malika Aït Khelifa, Slimane Amara, Mourad Bounab, Moumem Ubuyahyia, Ben Mohamed, …
Camille Lacoste-Dujardin, Kassa Houari, Djilali Bencheik, Moh Cherbi, Achour Fernane, Arezki Métref, Méziane Ourad, Salah Belkalem, Idir Amara, Méziane Kadache, Larbi Mechkour (BD) entre autres animaient des rubriques régulières ou livraient régulièrement des papiers. Sans oublier à partir du n°22/23 les maquettes Reda Sadki et depuis le début, les relectures (et corrections) de Nasséra Si Mohamed.
Il y eut enfin les contributions ponctuelles mais importantes de personnalités aussi diverses que Fadhma Amazit, Muhend U Yehya, Boudjema Aït Braham, Mennad Ouldslimane, Nadia Benmakhlouf, Ahmed Azeggagh, Smaïl Hamroun, Farid Mammeri Rabah Belamri, Mogniss, Ouardia Aït Abdelmalek, Malika Sanaa ou Dilem.
En 1989, l’association décidait de publier une Lettre d’information trimestrielle gratuite qui se voulait plus en prise avec l’actualité. Cette Lettre a été relancée en 2020, doublée d’une lettre d’information numérique (ou newsletter).
Très tôt, l’ACB proposa des ateliers d’Histoire et civilisation hebdomadaires puis organisa plusieurs colloques. Idir Amara aujourd’hui universitaire, officia comme responsable de l’atelier, puis, de 1994 à juin 1999 Ramdane Redjala, historien, en assuma la responsabilité.
A cela il faut ajouter les colloques qui furent aussi l’occasion de nouveaux partenariats, de nouvelles collaborations, de rencontres amicales. En 1990, l’ACB édita un livre de… mathématiques, Tusnakt wurar rédigé par Hend Sadi qui ambitionne d’aborder les mathématiques en langue berbère et sous une forme ludique (107 petits problèmes éducatifs).
Depuis 1990, l’ACB donne une place importante à la littérature. Chaque mois depuis cette année, elle propose de découvrir des parutions récentes et de rencontrer leurs auteurs. Ces rencontres furent baptisées « l’ACB ouvre les guillemets » (ACBOG) par les deux animateurs et promoteurs, André Videau et Mustapha Harzoune. L’ACBOG ce sont des rencontres mensuelles autour de la littérature – de toutes les littératures – avec des romanciers et des poètes mais aussi avec des universitaires, scientifiques et essayistes de tous horizons. Le coup d’envoi fut donné en mars 1990 avec Tassadit Imache pour Une Fille sans histoire. Elle est en quelque sorte la marraine de ces rencontres. Elle fut reçue à quatre occasions (1990, 1995 et 1998, 2020). Arezki Métref qui anima ces rencontres après 2000 la reçut également. Parmi les invités citons : Camille Lacoste-Dujardin reçue en 1990, 1992 et 1997. Mohamed Kacimi ou Tahar Djaout (en 1990) mais aussi Amin Maalouf (1992), Albert Memmi et Mohamed Harbi (en 1993) ; Rachid Boudjedra (1994) ; Matoub Lounès bien sûr en 1995 et, la même année Edmonde Charles-Roux. En 1996 Catherine Camus, était reçue pour évoquer Le Premier homme, le dernier livre de son père. La même année, âgé alors de 89 ans, Jules Roy accepta de venir à l’ACB. Il enthousiasma le public par sa verve et son dynamisme. Un an plus tard, en présence d’Arezki Metref et de Nourredine Saadi c’est Jean Pélégri que l’ACBOG reçu. Quelques mois plus tard, une autre personnalité de premier plan honora l’association de sa présence : Stéphane Hessel. Impossible de citer l’ensemble des invités.
Ces rencontres littéraires se poursuivent. Elles se fondent désormais dans un cadre plus large : « Les Mercredis de l’ACB », qui ambitionnent de proposer chaque mercredi du mois une rencontre autour de quatre thématiques : littérature, femmes, culture/tamazight et laïcité.
Cours de langue (avec Muhend U Yehya, Ourida Manseri, Fadma Amazit, Noura Haddab, Abdelmoumen Bouyahia, Idir Ahmed Zaid, Mourad Bounab, Hanifa Chérifi, Mohamed Namane, Nacima Abbane, Belaid Addi, Mohand Amatoui…), d’histoire et de civilisation (Idir Amara, Ramdane Redjala, Omar Hamourit,…), de danses (Nafissa, Nasséra Si Mohamed, Lydia…), de théâtre (Salah Belkalem), de guitare (Lounès Bouali, Lalla Ourrad, Chérif Issoulas Rachid Aït Tahar, Saïd Achab…), de couture (Malika Aït Khelifa qui assura pendant de nombreuses années la rubrique « recettes » du magazine, Ouassila Albane, Hakima Ladoul…), de bridge (Nicolas Fournier), de flamenco (Lina Sotomayor), de gymnastique (Marie Violet, Brigitte Maurin…) mais aussi alphabétisation (Yasmina Chicotot), assistance sociale (Louiza Setti, Elisabeth Salhi…), aide à la recherche d’un emploi (Slimane Amara, Zaïa Boukhari…), aide juridique (plusieurs avocats dont H. Abbas-Touazi ; H. Hamouni ; K. Ouchikh, Karima Ayoub, Francis Martin, Rezki Aït Ihaddadène, Ahcène Boukhelifa…), écrivain public (Setni Baro…), il y eut aussi les responsables et animateurs des activités karaté, football, atelier vidéo, soutien scolaire et club pour enfants, aide à la lecture, éveil à la peinture, production de spectacles, éditeur, sans oublier la longue liste des administrateurs de l’association, ses présidents (Saadi Kessous, Slimane Amara, Belkacem Tatem…) et ses secrétaires tout terrain à commencer par Nassima Aïchouche (par ailleurs membre de la troupe Amendil), Djijiga Slamani, Zahra Kemmache, Nadia Lebik, Abderrezak Slimani… Pour mettre sur pied toutes ces activités, et pour la plupart les pérenniser, il en a fallu du monde ! Combien de personnalités, d’intelligences, d’énergies, de femmes et d’hommes de toutes générations, réuni-e-s, rassemblé-e-s, mobilisé-e-s durant ces plus que 40 ans. Ces centaines d’hommes et de femmes, célèbres ou non, ont fait l’ACB, ont rendu possibles ses réalisations et créations, cette accumulation d’expériences et de savoirs. Ses acquis et ce capital culturel sont aujourd’hui disponibles. De même – et ne serait-ce pas là le plus important ? – un état d’esprit. L’ACB n’a jamais fanfaronné – cela tient beaucoup à la personnalité de ses principaux animateurs et de ses administrateurs. Personne n’a cherché à tirer la couverture à soi. Les prétentieux et les ambitieux ne sont pas restés longtemps. Finalement, l’ACB a fait sienne, en cheminant, une expression de Muhend U Yehya (empruntée peut-être à Lévi-Strauss) : « moi, je bricole » disait-il pour parler de son travail pourtant inestimable.
L’ACB ne s’est jamais posée en donneuse de leçons, en petit ayatollah de la cause berbère. L’équipe a privilégié, toujours, le travail, l’action, le faire sur le dire. Peut-être n’avons-nous pas été assez entendu des responsables nationaux, politiques et autres, sur la diversité, les potentiels de populations et d’individus trop vite enfermés dans des clichés, des identités de substitution et des catégories sociales marginalisées ? Il reste encore beaucoup à faire pour sortir de l’invisibilité et de l’indifférence, une population pourtant installée en France depuis au moins trois générations.
l’ACB poursuit son œuvre d’association culturelle et citoyenne. Ainsi, le local de l’association est réservé plusieurs dimanches dans l’année à des réunions de villages. L’ACB accueille les traditionnelles tajmaat. Une trentaine de tajmaat new-look, reconverties en autant d’associations loi 1901. Le sévère égalitarisme berbère se fondrait-il dans le bouillon républicain ? En tout cas, l’Histoire, jamais en manque d’imagination, est peut-être, une fois de plus, en train de s’écrire. Gérontophiles et masculines par tradition, ces tajmaat se rajeunissent et commencent, timidement certes, à s’ouvrir à la présence féminine. Comme à la création de l’association, les liens avec le pays et la région d’origine restent donc vivants, solides. Ils semblent avoir changé de nature. Peut-être est-ce lié à l’actualité sociale et politique algérienne ? Quoiqu’il en soit et comme depuis toujours dans l’histoire de l’association « Ça fonctionne dans les deux sens, ce qui se passe ici peut avoir des conséquences en Kabylie et vice versa » (Beben).
(1) Parmi les nombreux administrateurs citons : Saïd Boundaoui, Nasséra Si Mohamed, Boualem Sehrine, Slimane Amara, Daniel Duchemin, Arezki Si Mohamed, Yasmina Chicotot, Saadi Kessous, Ahmed Hocine, Louiza Setti, Said Fennouche, Kamel Hamache, Samia Messaoudi, Malika Ardouvin, Salah Belkalem, Karima Ayoub, Farid Benbraham, Hacène Boudjma, Ramdane Redjala, Omar Senaoui, Elisabeth Salhi-Loyau, Jean Chabal, Hakima Ladoul, Nathalie Duchemin, Baya Rivière, etc.